Pas de souveraineté alimentaire sans courage politique

Le bras de fer entre l’Anses et le gouvernement au sujet du S-métolachlore et de la phosphine a remis sur la table une question essentielle : qui doit décider d’autoriser ou non un produit phytosanitaire ? Compte tenu des implications économiques, sociales, voire géopolitiques de ce type de décision, seul le politique a la légitimité pour trancher. C’est vrai aussi pour d’autres dossiers sensibles comme la gestion de la ressource en eau ou le développement des biotechnologies. S’il veut effectivement défendre une souveraineté alimentaire en France et en Europe, le gouvernement doit reprendre la main.


Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le gouvernement a fait de la souveraineté alimentaire l’axe principal de sa stratégie agricole. Désormais, chaque décision est évaluée à l’aune de ce principe. Et c’est une bonne chose. Néanmoins, l’exécutif est en train de réaliser qu’il n’a plus les mains libres pour tenir ce cap. Non seulement parce que, depuis Ecophyto 1 en 2008, il s’est fixé des objectifs irréalistes en matière de réduction des produits phytosanitaires mais aussi parce qu’il a délégué certains de ses pouvoirs. On vient de le voir à l’occasion du bras de fer qui l’a opposé à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) au sujet de l’interdiction de deux produits phytosanitaires.


Rappelons les faits. Le 15 février dernier, l’Anses engage une procédure de retrait des produits à base de S-métolachlore, un herbicide très utilisé en maïs, tournesol et soja, en raison de la présence de métabolites dans les eaux souterraines à un taux dépassant le seuil réglementaire. Dans un contexte de ras-le-bol du monde agricole face à la surrèglementation franco-française, le ministre de l’Agriculture réagit rapidement et demande à l’agence de revoir sa copie, arguant du fait que cette décision ne tient pas compte du calendrier européen (une modification de la classification du S-métolachlore est en cours) et qu’aucune alternative crédible n’est disponible à ce jour, ce qui provoquerait une situation de distorsion de concurrence avec les autres États membres de l’UE.


Aussitôt, le ministre de l’Agriculture est accusé de faire pression sur l’agence. Soucieuse de défendre son indépendance, celle-ci rappelle que sa mission n’est pas de prendre en compte l’enjeu de la souveraineté alimentaire mais de veiller à la sécurité sanitaire et environnementale sur la seule base de données scientifiques. Sur ce, on apprend que l’Anses a aussi interdit, à compter du 25 avril, l’usage de la phosphine, un insecticide employé pour protéger les cargaisons de céréales dans les cales des bateaux. Stupeur du côté des exportateurs français comme du côté des pays importateurs de grains français. Interpelé à l’Assemblée, le gouvernement promet de trouver une solution pour que les exportations ne soient pas entravées. Après de nombreuses réunions entre le gouvernement et l’Anses, l’épilogue tombe le 20 avril. L’agence confirme le retrait du S-métolachlore mais revient sur l’interdiction de la phosphine à l’export.


Cette séquence chaotique révèle un grave dysfonctionnement de la prise de décision. Si l’on en est là aujourd’hui, c’est que depuis 2015 l’Anses est chargée d’une double mission. Elle doit à la fois réaliser une évaluation des risques sanitaires ET délivrer ou non des autorisations de mise sur le marché (AMM), responsabilité assurée auparavant par le ministre de l’Agriculture s’agissant des produits phytosanitaires. Or si l’agence est légitime en ce qui concerne sa première mission, ce n’est pas le cas pour la seconde. Confrontée à la pression des associations antipesticides, qui à plusieurs reprises ont mis en cause son expertise, voire son intégrité, et à un risque juridique réel, comme le souligne son président Benoît Vallet , l’Agence est contrainte à une extrême prudence en matière d’AMM. La récente controverse montre qu’il serait sage de revenir à la situation antérieure. A chacun son rôle : l'Anses évalue le danger et apprécie la gestion du risque, le gouvernement décide des AMM en intégrant tous les critères stratégiques. En cas d’interdiction d’une molécule, c’est à lui de fixer le calendrier de retrait, lequel doit tenir compte de la situation dans les autres pays de l’Union européenne et de l’existence de solutions de remplacement, comme il s’y est engagé après l’interdiction des néonicotinoïdes.


Aujourd’hui, Marc Fesneau sort de cette séquence avec un bilan mitigé. Lui qui a déclaré qu’il ne serait pas « le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d'une agence » a été en partie déjugé par la Première ministre. Pourtant, s’il veut défendre la souveraineté alimentaire de la France, le gouvernement doit assumer ses responsabilités et prendre des décisions, mêmes impopulaires. Il vient de le faire pour les retraites, il doit le faire pour l'agriculture. Cela signifie en particulier qu’il ne doit pas céder aux injonctions des tenants d'une agriculture décroissante. Que ce soit sur la question de la gestion de la ressource en eau, des biotechnologies ou du renforcement des filières agroalimentaires. A cet égard, la nomination d’Arnaud Rousseau à la tête de la FNSEA est une excellente nouvelle. A la suite de Xavier Belin, le président de Groupe Avril a montré qu’il était possible de structurer une filière du champ au consommateur et de conserver la valeur du côté des agriculteurs français. Pourquoi faudrait-il s’excuser de faire émerger des champions français dans l’agriculture alors qu’on s’en félicite dans d’autres secteurs ?

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