Vent de fronde contre le projet de règlement européen sur l’utilisation durable des produits phytosanitaires

Mois après mois, le projet SUR (Règlement sur l’utilisation durable des produits phytosanitaires) apparait comme déconnecté de la réalité. Une douzaine de pays membres de l’UE ont demandé une nouvelle étude d’impact. Fronde qui pourrait expliquer l’hyperactivité des activistes anti-pesticides cette rentrée.


Les « marchands de peur » ont à nouveau frappé. Après la campagne « Peut-on encore manger des fruits et des légumes ? » ( notre tribune de juin ), nous venons d’assister successivement à deux campagnes anxiogènes : une campagne « Peut-on encore boire l'eau du robinet ? », avec l’association Générations futures , le quotidien Le Monde , la chaîne France 2, avec ses magazines « Complément d’enquête », et une campagne de dénigrement du label HVE avec la chaîne France 5 « Labels : des verts et des pas mûrs » . La tactique est désormais rodée : publications synchronisées en comptant sur les reprises par d’autres médias et le buzz sur les réseaux sociaux pour créer l’événement. Le procédé rhétorique est toujours le même : à partir de faits montés en épingle et de questions insidieuses, instiller le doute sur la rigueur du système de contrôle des aliments et dénigrer l’agriculture conventionnelle pour amener l'opinion publique à rejoindre leur croisade pour la suppression de tous les pesticides de synthèse. Croisade, au passage, complaisamment relayée par le site de France Info qui publie une tribune de 80 ONG et syndicats réclamant « une sortie totale des pesticides de synthèse d’ici cinq ans ».


Toute cette agitation n’est pas innocente. Cette campagne intervient sur fond de bras de fer entre la Commission européenne et les États membres de l’UE sur le projet de règlement sur l'utilisation durable des produits phytosanitaires (SUR). Ce projet, rappelons-le, reprend les objectifs de la stratégie Farm to Fork : réduire de 50% l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici à 2030 ( notre tribune de juillet ). A l’occasion d’une réunion du Conseil de l’agriculture le 26 septembre, une douzaine de délégations ont demandé à la Commission de mener une nouvelle analyse d'impact compte tenu des nouvelles conditions engendrées par la guerre en Ukraine. Elles estiment que « certaines des données et analyses utilisées comme base pour l’évaluation d’impact ne sont plus valables » . Leur crainte : qu’une réduction drastique des produits phytosanitaires (certains pays ont découvert qu’ils devront les réduire de 60% !) ait des conséquences sur la production agricole et la sécurité alimentaire des Européens. L'inquiétude des pays de l'UE est justifiée : la succession des crises fragilise un peu plus le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Avec la hausse du prix des énergies, les coûts de production flambent. C’est particulièrement vrai des engrais azotés, fabriqués à partir de gaz. Plusieurs unités de production en Europe ont été arrêtées, ce qui fait craindre des pénuries pour la campagne 2022-2023 , donc des baisses de rendement… Certaines filières, comme celle des fruits et légumes, tirent le signal d’alarme depuis de nombreuses années sur les impasses phytosanitaires, les coûts de production qui explosent et réclament un bouclier énergétique spécifique.


Dans un tel contexte, faut-il renoncer à la transition agroécologique ? Non, bien sûr : on ne change pas de cap pendant la tempête. D’autant plus que de nombreux agriculteurs ont déjà amorcé cette transition, comme l’a montré « La Grande Récolte », l’enquête que l’institut BVA a menée pour BASF auprès de plus de 2 000 acteurs du monde agricole. Les trois quarts des agriculteurs interrogés sont déjà engagés dans une démarche agroécologique ou en l’intention de le faire, soit 15% de mieux qu’en 2018. On ne peut que s’en réjouir. Mais garder le cap ne signifie pas pour autant renoncer à s’adapter au contexte. La transition agroécologique ne peut pas se résumer à la réduction des produits phytosanitaires. De nombreux autres axes de progrès sont possibles et déjà mis en œuvre, comme le révèle notre enquête.


Le gouvernement a-t-il pris la mesure de l’inquiétude qui gagne de nombreuses filières agricoles et la perte de souveraineté en cours, comme le rappelle le Sénat lors de la remise de son rapport « Compétitivité : Une urgence pour redresser la ferme France », le 28 septembre. Il semble en tout cas vouloir donner des gages de sa considération pour les agriculteurs. En témoignent les derniers arbitrages rendus concernant l’assurance récolte, clairement favorables au déploiement du dispositif de gestion des risques climatiques. Dans la foulée, le président de la République a choisi Terres de Jim, l’événement phare des Jeunes Agriculteurs, pour présenter son « pacte d'avenir et d'orientation pour l'agriculture » et ouvrir une période de concertation de six mois qui devrait déboucher sur une loi d’orientation agricole en 2023. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Marc Fesneau de monter au créneau : dans une interview au Figaro , le ministre de l’Agriculture a réaffirmé son engagement aux côtés des agriculteurs : « Ma responsabilité est de faire évoluer le modèle avec les agriculteurs, pas contre eux. » Dont acte.

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