Fongicides SDHI : pourquoi la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu

« On ne peut se permettre, comme l’Anses, d’attendre la catastrophe ». C’est par cet avertissement que l’un des chercheurs ayant lancé l’« alerte » sur les fongicides SDHI en 2018 appelle de nouveau à leur interdiction en 2019, invoquant le principe de précaution1.

Utilisés depuis les années 60-70, les fongicides SDHI n’ont jamais fait l’objet de la moindre alerte sanitaire, en France, en Europe et dans le monde. Une observation confirmée par l’Anses2 (l’Autorité sanitaire française) en 2018 qui n’a relevé aucun signal inquiétant notamment sur les êtres vivants les plus exposés aux inhibiteurs de la SDH pouvant justifier un retrait de ces substances3.

Des effets in vitro connus depuis longtemps mais non transposables aux organismes entiers

Les effets observés par les chercheurs « lanceurs d’alerte » lors d’essais in vitro sont connus depuis de nombreuses années mais leur transposition directe à l’Homme n’est pas fondée. En effet, les produits issus de cette famille de fongicides, lorsqu’ils sont absorbés par l’organisme, en cas d’exposition, se dégradent rapidement chez les mammifères en métabolites inactifs et sont éliminés. C’est la raison pour laquelle, dans les études toxicologiques réalisées pour l’Autorisation de Mise sur le Marché de ces produits, ce type d’effets n’est pas retrouvé. La toxicité associée à l’inhibition de l’enzyme Succinate Déshydrogénase (SDH) observée in vitro par ces chercheurs ne s’exprime pas chez les mammifères incluant l’Homme. « Une extrapolation que les chercheurs "lanceurs d’alerte" se gardent bien de faire dans leur publication », souligne le Dr. Michel Urtizberea, Toxicologue et Responsable du service Homologation BASF France division Agro.

Cette position est d’ailleurs celle adoptée par les parlementaires membres de l’OPECST4 dans leurs conclusions rendues publiques en juin 2020 suite à l’audition le 23 janvier 20205 des chercheurs « lanceurs d’alerte » et de Roger Genet, Directeur Général de l’Anses :


« Une extrapolation de ces résultats à l’exposition réelle d’un organisme entier est actuellement impossible et nécessiterait à tout le moins de plus amples investigations. En effet, on ne peut pas assimiler des résultats obtenus dans le cadre d’une recherche fondamentale, in vitro, et le résultat de tests toxicologiques effectués dans le but d’évaluer le risque associé à des substances. »

Pas d’augmentation de l’incidence de cancers en lien avec les fongicides SDHI

Selon l’Anses, aucune des données scientifiques actuelles ne suggère une augmentation de l'incidence de cancers associés à une carence en SDH, ni un impact pour les organismes de l’environnement :


Au regard des sources consultées, il n’a pas été identifié de données suggérant une augmentation de l’incidence des cancers spécifiques associés au déficit en SDH, chez l’Homme non porteur de mutation (chez les professionnels exposés par exemple), malgré une commercialisation parfois ancienne de ces molécules SDHI, ni de données suggérant un impact pour les organismes de l’environnement6.


Un avis confirmé par Roger Genet, directeur général de l’Anses, lors de son audition devant les parlementaires membres de l’OPECST, le 23 janvier 20207 : « Les conclusions de l’agence sont que les données examinées n’indiquent pas une augmentation des cancers associée au déficit de l’enzyme succinate désydrogénase et que le niveau des expositions totales, rapporté au seuil toxicologique actuellement établi est très faible ».

Si des cancers ont été signalés dans des études sur animaux pour des substances qui ont ensuite été autorisées, il a été constaté que ces cancers ont été causés soit par une chaîne d'événements qui n'est pas directement transposable à l'homme, soit par un mécanisme non génotoxique, ce qui signifie que les cancers ne se sont pas produits à des doses plus faibles.

« Le premier SDHI a été autorisé aux Etats-Unis il y a 40 ans ; on a assez de recul actuellement notamment avec des études épidémiologiques qui se passent en France, l’étude Agrican, et l’étude américaine AHS sur des agriculteurs qui montrent que ces populations qui sont les plus exposées n’ont pas d’incidence augmentée des maladies qui sont annoncées par les chercheurs », observe Antony Fastier, expert toxicologue chez BASF.

Des effets néfastes qui apparaîtraient dans la durée ?

Pour mesurer l’effet d’expositions chroniques, les études de cancérogénèse sont conduites en administrant des doses toxiques tous les jours de la vie de l’animal. Si l’on devait avoir des effets cancérogènes du type de ceux qui ont été observés par ces chercheurs chez des patients déficients en Succinate DésHydrogénase, on devrait aussi les observer dans ce type d’études, ce qui n’a pas été le cas.

Les effets des SDHI tellement complexes que l’on ne pourra jamais observer une preuve formelle de leur risque élevé pour la santé ?

Selon les chercheurs « lanceurs d’alerte », les effets des SDHI sont tellement complexes que l’on ne pourra jamais observer une preuve formelle de leur risque élevé sur la santé. Autrement dit, il faudrait interdire ces substances… sans effets néfastes observables ou détectés.


Or, il est tout à fait possible d’investiguer d’éventuels effets délétères des SDHI. Les patients à risque, porteurs de la mutation du gène SDH sont en effet prédisposés à développer des tumeurs phéochromocytomes et des paragangliomes. Disposant d’un registre spécifique sur ces cas, l’Anses a justement sollicité une équipe de chercheurs pour investiguer ces données et en faire ressortir d’éventuelles anomalies8.

La commercialisation tous les 5 à 10 ans de nouvelles générations de SDHI rend-elle les données scientifiques difficilement interprétables ?

Les chercheurs « lanceurs d’alerte » avancent régulièrement cet argument : « de nouvelles générations de SDHI sont commercialisées tous les 5 à 10 ans ». De fait, les données seraient « très hétérogènes et difficiles à interpréter. »9 Or, la cible moléculaire des SDHI reste la même quelle que soit la molécule (complexe III de la chaîne respiratoire des mitochondries). Des effets délétères sur la santé humaine ainsi que sur la faune et la flore auraient donc déjà dû être logiquement constatés dès la commercialisation des premiers SDHI dans les années 60.

Les fongicides SDHI : une avancée pour les agriculteurs

« Quand les SDHI sont arrivés pour nous, c’était quand même une vraie avancée par rapport aux autres matières actives qu’on avait connues », constate Jean-Pierre Philips, céréalier en Côte-d’Or. « C’est une matière active qui très souple d’emploi et très modulable selon la pression parasitaire ».

D’année en année, les progrès de la science permettent de proposer des fongicides plus respectueux de l’environnement et de la santé humaine. Leur profil toxicologique est de plus en plus favorable et ils sont efficaces pour gérer les maladies fongiques dans les cultures.

Des études sont bien entendu menées dans le cadre du dossier d’homologation, avant l'utilisation par les agriculteurs, mais également après l'homologation. La toxicité pour les abeilles d’un fongicide SDHI, comme le boscalid, est nettement moins importante que celle des deux principaux médicaments vétérinaires (amitraze et tau-fluvalinate), utilisés par les apiculteurs directement dans les ruches.

Les huit chercheurs du CNRS, de l’Inserm et de l’INRA soupçonnent les fongicides SDHI d’avoir des effets néfastes sur la biodiversité et sur la santé humaine. Ces chercheurs se basent sur des effets observés in vitro sur les cellules de mammifères pouvant, selon eux, entrainer des effets potentiels chez l’Homme. Pour l'ANSES, ces soupçons ne sont pas justifiés.

Cette question n’est pas spécifique aux SDHI. Elle est inhérente à la biologie des champignons. C’est une problématique que l’on trouve aussi en santé humaine par exemple pour les antibiotiques.

« N’importe quel être vivant qui est mis au contact de ces molécules est mis en danger (vers de terre, abeilles, mammifères, Hommes…) ». C’est l’argument défendu par un collectif de chercheurs de médecins à propos des fongicides SDHI.Toutefois, utilisée depuis les années 60-70, cette famille de fongicides n’a jamais fait l’objet de la moindre alerte sanitaire.

Depuis le lancement en avril 2018 de la polémique médiatique sur les fongicides SDHI, les chercheurs à l’origine de cette « alerte » ainsi que des ONG environnementalistes interprètent de manière abusive la définition du principe de précaution en réclamant une interdiction totale d’usage de ces substances.

Ayant par le passé travaillé côte à côte sans réellement dialoguer, apiculteurs et agriculteurs ont depuis quelques années pris conscience de leur intérêt commun à travailler ensemble au service de leurs objectifs respectifs : de bons rendements pour lesquels les pollinisateurs ont un rôle majeur ; des productions de miel importantes grâce à des pratiques culturales adaptées (bandes mellifères, diversité florale, adaptation des pratiques phytosanitaires, etc.)

Pour étayer leurs propos alarmistes, les quelques chercheurs « lanceurs d’alerte » soutenus par des ONG environnementalistes mettent en avant une « exposition importante de la population » aux fongicides SDHI. Une position qui ne correspond pas à la réalité des observations faites par les autorités sanitaires française et européenne.

Pour aller plus loin

A quoi servent les pesticides ? Les pesticides sont-ils risqués pour la santé ? Les pesticides menacent-ils l’environnement ? Les réponses aux questions que vous vous posez.

Pourquoi les fongicides sont-ils nécessaires ? Qu’est-ce que les fongicides SDHI ? Huit chercheurs ont alerté les autorités publiques en France : de quoi s’agit-il ? Les réponses aux questions d'actualité.

Top