Réduction des phytos : l’embarras du gouvernement

Réutilisation du glyphosate, plan Ecophyto 2030 : sur ces sujets sensibles, le gouvernement temporise pour ne fâcher personne. En France comme dans l’Union européenne, les politiques réalisent qu’il n’est pas si facile que cela de se passer des pesticides compte tenu des aléas climatiques et de la faiblesse actuelle des alternatives.


La France s’est donc abstenue de soutenir la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dix ans l’autorisation du glyphosate. Elle n’est pas la seule à avoir choisi cette position. L’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et d’autres en ont fait autant. Résultat, la majorité qualifiée n’a pas été atteinte. La proposition sera soumise à un comité d’appel en novembre. D’ici là, la Commission pourra ou non la modifier. Quoi qu’il en soit, une décision devra être prise au plus tard le 14 décembre, l’approbation actuelle expirant le lendemain. De mauvaises langues disent que les pays qui se sont abstenus ont laissé le mauvais rôle à la Commission. Le glyphosate ayant été diabolisé depuis des années, aucun gouvernement n’a voulu endosser la responsabilité de le réautoriser, bien que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) considère que l’herbicide ne présente pas de « sujet de préoccupation critique ». Pour sa défense, le gouvernement français explique qu’il n’est pas opposé à l’autorisation du glyphosate, mais qu’il ne se retrouve pas dans la proposition de la Commission. Celle-ci ne serait « pas à la hauteur de nos engagements pour restreindre les usages et pour accompagner les agriculteurs vers la recherche de solutions », a indiqué Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture. Quelle sera la réaction de la France si, en décembre, le glyphosate est réautorisé pour dix ans ? Fera-t-elle cavalier seul, comme elle a pris l’habitude de le faire, ou respectera-t-elle « le cadre européen et rien que le cadre européen », comme Elisabeth Borne l’a promis au dernier Salon de l’Agriculture ?

Cet épisode peu glorieux illustre l’embarras du gouvernement sur la question de la réduction des produits phytosanitaires. Entre Olivier Véran qui veut « supprimer totalement et de manière générale les pesticides dont on suspecte un rôle négatif sur la santé » et Marc Fesneau qui souhaite « ne laisser aucun agriculteur sans solution », c’est le grand écart. Même embarras du côté de Matignon à propos du plan Ecophyto 2030, censé accompagner la réduction des phytos et l’adaptation des techniques de protection des cultures. Annoncée pour la rentrée, sa présentation ne cesse d’être reportée… Coincés entre les promesses faites et la dure réalité des agriculteurs, nos dirigeants procrastinent. Oui, la recherche de solutions alternatives aux produits de synthèse prend du temps, et ces solutions sont rarement aussi efficaces que celles qu’on supprime… Pendant ce temps, le nombre de molécules autorisées continue de diminuer. Lors de la réunion du Scopaff, le comité ad hoc de la Commission européenne, où était examiné le renouvellement du glyphosate, les experts des États membres ont aussi mis fin à l’autorisation de six substances actives, dont le S-métolachlore, un herbicide largement utilisé dans la culture du maïs et du tournesol, que la France avait déjà interdit au printemps 2023. Dans le même temps, l’agence française de sécurité sanitaire (Anses) a restreint sans délai les conditions d’utilisation du prosulfocarbe, un herbicide très utilisé en céréales et en pomme de terre. A ce rythme, le « pas d’interdiction sans solution » risque d’être difficile à tenir. Ce sujet - avec celui de la hausse des taxes inscrite au projet de loi de finance 2024 – fait partie des griefs que les représentants des producteurs de grandes cultures ont adressé au gouvernement dans une tribune alarmiste . Seront-ils entendus ?

On l’a vu avec le glyphosate, l’embarras sur la question de la réduction des produits phytosanitaires n’est pas le seul fait de la France. Les enjeux de souveraineté alimentaire ont remis en cause certains objectifs du Green Deal européen. De nombreux pays cherchent désormais à faire marche arrière. C’est le cas sur le projet de règlement sur l’utilisation durable des pesticides (SUR). Début octobre, les eurodéputés de commission AGRI (agriculture) ont révisé certains points du projet présenté par la Commission, notamment en reportant l’objectif de réduction de 50% de l’usage des produits phytosanitaires de 2030 à 2035 et en fixant la période de référence aux années 2011, 2012, 2013 au lieu des années 2015, 2016, 2017. Deux semaines plus tard, les députés de la commission ENVI (environnement) sont revenus, avec le soutien de députés français du groupe Renew, aux objectifs initiaux, les durcissant au passage en fixant à 65% l’objectif de réduction des produits les plus dangereux. Ce vote a suscité l’indignation des agriculteurs français qui, par la voix de la FNSEA, n’ont pas manqué de dénoncer le double discours du gouvernement . Rendez-vous désormais le 22 novembre pour un vote en assemblée plénière. D’ici là, la bataille s’annonce rude.

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