L'agroécologie au coeur des pratiques
01.10.2021

Avant même que le terme agroécologie ne fasse son entrée dans le vocabulaire courant de la viticulture, sur le terrain, la démarche faisait son chemin. Pierre Colin et François Taris Loiry témoignent de leurs pratiques, sur les bords de la méditerranée d'un côté et dans le bordelais de l'autre.
Qu’est-ce que l’agroécologie pour vous ?
Pierre Colin : L’agroécologie regroupe l’ensemble des pratiques favorables à l’environnement que je mets en place sur mon exploitation. Les infrastructures agroécologiques comme les haies, les talus, les bosquets, les zones non cultivées, les jachères mellifères qui s’y trouvent participent à maintenir la biodiversité. Mais il me semble important de ne pas réduire l’agroécologie à cela. Pour moi, l’agroécologie passe aussi par mes pratiques agricoles, à l’intérieur de mes parcelles.
François Taris Loiry : Ma définition est assez proche. C’est bien un ensemble de pratiques qui permettent d’insérer une culture dans un environnement diversifié, favorable à ladite culture. Dans ce schéma, les choix culturaux du viticulteur prennent en compte la « nature » et la culture.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’agroécologie ?
François Taris Loiry : Au château Pichon Longueville Comtesse de Lalande, de nombreux salariés travaillent au quotidien dans les vignes. Protéger leur santé a été sans nul doute notre première motivation. Ensuite, nous avons la chance d’être sur un terroir magnifique. Il nous appartient de le révéler dans nos vins et de le transmettre en bon état, sans le dégrader. Cette prise de conscience est collective. Dans le Médoc, je le constate, les mentalités changent. Le paysage est encore monocultural mais les couverts végétaux qui se développent ou encore la réimplantation de haies modifient positivement notre beau paysage viticole.
Pierre Colin : Je suis vigneron mais je suis avant tout un citoyen concerné par les enjeux environnementaux, comme l’érosion de la biodiversité ou les émissions de carbone en hausse. Mes actions individuelles, personnelles et professionnelles, ont un impact. Autant qu’il soit le plus neutre possible. Dans mon métier, cela passe par l’agroécologie. Par ailleurs, et c’est capital, l’agroécologie n’est pas un concept dogmatique et irréaliste. C’est un mode de production compatible avec la rentabilité économique de mon exploitation.
Comment la mettez-vous en pratique ?
Pierre Colin : La diversité des cultures pérennes qui se trouvent sur mon exploitation de 20 ha est un levier majeur. Chaque culture est un écosystème. J’ai pour ma part 14 ha de vigne, un hectare de grenade certifié bio, des oliviers, des agrumes, mais aussi des ruches et un petit atelier avicole. Chaque atelier a ses contraintes et ses avantages. Le non travail du sol dans mes vergers est désormais une évidence, positive pour la faune du sol et qui a permis de supprimer des maladies. Mais je ne peux pas dupliquer cette pratique telle quelle à la vigne ; la densité de plantation n’a pas de commune mesure. La concurrence hydrique est beaucoup moins forte dans les vergers. Alors selon la pluviométrie, dans les vignes, je laboure ou je broie. Depuis un an, je teste aussi les engrais verts un rang sur deux. L’automne et l’hiver ont été extrêmement secs sur les bords de l’étang de Thau ; la levée a été mauvaise. Dans un contexte méditerranéen, la réussite de cette technique semble encore plus aléatoire qu’ailleurs.
François Taris Loiry : A Pauillac, nos vignes sont plantées à haute densité sur des sols de graves pauvres. La concurrence entre chaque pied est donc particulièrement forte. Pour la limiter, on a longtemps retiré la moindre adventice des rangs. Heureusement, l’agronomie revient au centre des décisions. Nous nous réapproprions les connaissances sur le sol. Pour que les vignes puissent y prélever de l’eau et des minéraux, il faut qu’il « fonctionne ». Au château Pichon Longueville Comtesse de Lalande, nous optons de plus en plus pour l’enherbement des sols. Entre les rangs, nous avons des enherbements naturels ou des engrais verts. Sur les sols qui ont longtemps été travaillés, il est plus pertinent de passer par une période de semis de couverts avant de laisser un enherbement naturel se développer. Sur des sols revitalisés par les engrais verts, les espèces présentes dans l’enherbement naturel sont alors plus diversifiées et plus adaptées à la cohabitation avec la vigne.
À l’automne 2020, nous avons fait un essai d’implantation de trèfles souterrains sous et entre les rangs. Si l’implantation réussit, le couvert qui a une durée de vie d’environ cinq ans sera entretenu uniquement avec des tondeuses. C’est une pratique prometteuse de moindre intervention. De fait, les tassements sont limités et le bilan carbone est moins important. Par ailleurs, cette technique s’inscrit dans notre stratégie de privilégier les enherbements pluriannuels. Toujours sur le volet sol, nous avons abandonné le désherbage chimique depuis dix ans et nous amendons nos vignes exclusivement avec des fumures organiques.

Pour la protection des plantes, quelles sont vos pratiques agroécologiques ?
François Taris Loiry : Cela commence dès la taille ! Nous faisons une taille qui respecte au maximum la physiologie et la mise en réserve de la vigne. Pour lutter contre les vers de la grappe, nous utilisons la confusion sexuelle depuis plus de dix ans. Par ailleurs, plus de 90% des solutions que nous utilisons sont autorisées en agriculture biologique et/ou homologuées biocontrôle. Pour faire nos choix, ces certifications sont des bons indicateurs mais je regarde néanmoins de près le profil de chaque molécule. La priorité, au château, c’est la toxicologie. Nous privilégions les produits qui ont le moins d’impact sur la santé humaine. C’est le cas par exemple du phosphonate qui a en plus un bon profil écotoxicologique.
Pierre Colin : Je suis certifié Terra Vitis et HVE. Ces labels auxquels j’ai volontairement adhérés me contraignent dans la protection phytosanitaire des vignes. L’IFT compte. Pour le diminuer, j’utilise des produits de biocontrôle. Dans le vignoble de Picpoul de Pinet, 100% des surfaces sont en confusion sexuelle pour lutter contre les vers de la grappe. Récemment, un nouveau papillon a fait son apparition sur les côtes méditerranéennes. Le Cryptoblabes gnidiella cause des dégâts importants mais très locaux sur ces cépages tardifs comme le piquepoul. Nous avons demandé à la Chambre d’Agriculture de faire des piégeages spécifiques contre ce ravageur émergeant dont les larves se cachent au sein de grappes. Il est important de mieux le connaître car je n’ai pas envie de repartir sur une lutte insecticide systématique. En attendant, je vais adapter mes pratiques et récolter à maturité plutôt qu’à surmaturité. L’agroécologie permet de garder ce pragmatisme. Toujours dans une logique de diminution des produits phytosanitaires, j’ai testé en 2020 les stimulateurs de défenses naturelles avec le produit Roméo®. En complément de ma protection classique utilisée à ¾ dose, j’ai obtenu de bons résultats sur mildiou alors que l’année était compliquée
Quelle place voyez-vous pour l’agroécologie dans la filière viticole demain ?
Pierre Colin : L’agroécologie est déjà en place dans toutes les filières agricoles françaises. Ce concept va monter en puissance car il s’agit d’un ensemble de méthodes réalistes en phase avec les réalités des exploitations agricoles.
François Taris Loiry : L’agroécologie est appelée à se développer. C’est une démarche qui fédère. Nous-mêmes, au château, nous collaborons avec une dizaine d’autres domaines sur ces sujets. Nous échangeons sur nos pratiques, nos réussites et nos difficultés. C’est une démarche d’ouverture aux expériences humaines et technologiques. La viticulture de précision y a sa place. Dans le cas de la protection phytosanitaire par exemple, la nature des produits est importante. La quantité pulvérisée aussi ! C’est ainsi que désormais deux de nos enjambeurs sont équipés de panneaux récupérateurs avec un système de coupure de tronçons automatisé. Demain, grâce à des technologies plus abouties et plus abordables, les vignerons pourront peut-être localiser en temps réel les traitements en fonction de la pression maladie mesurée à la parcelle.